Langues minoritaires et régionales d'Allemagne

Saviez-vous qu'en Allemagne on parle d'autres langues que l'allemand? Cet article essaie de répondre.

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Récemment, je vous ai parlé d'une Parisienne, Mireille, qui a été très impressionnée et surprise d'apprendre que l'on parle en France bien d'autres langues que le français. Moi aussi, j'ai assisté à un cours qui traitait de ce sujet. Enfin, des regards interrogateurs ont fusé dans la salle lorsqu'on nous a demandé si d'autres langues que l'allemand étaient parlées en Allemagne. On en savait tellement peu. Faisons maintenant un petit voyage en Allemagne et apprenons à connaître quelques langues minoritaires autochtones de ce pays.

 

Avant de commencer, j’aimerais vous expliquer encore une fois la différence entre les langues allochtones et autochtones. Les minorités allochtones sont installées dans un pays depuis seulement quelques décennies. En revanche, les minorités autochtones y vivent depuis des siècles, quelques-unes d’entre elles depuis plus longtemps que la majorité. Cette différence n’est pas toujours claire et précise. Que veut dire exactement établi.e depuis longtemps? Le discours scientifique et les blogs se nourrissent de critiques et de discussions, alors n'hésitez pas à commenter. Dans cet article, je me limiterai aux minorités autochtones. Dans notre petit voyage linguistique, il est important de garder à l'esprit que nous ne resterons que peu de temps à chaque étape et que nous nous pencherons très brièvement sur chaque langue. Bien sûr, il y a beaucoup plus à rapporter et nous pourrions y rester pendant des années pour tout connaître et comprendre. 

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Mais avant de commencer notre voyage, je voudrais vous donner quelques informations et vous expliquer brièvement ce que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe. Je la décrirai plus en détail dans un autre article. La Charte a été signée en 1992 et vise à garantir que les langues régionales et minoritaires soient considérées comme une partie unique du patrimoine culturel de l'Europe. Elle souhaite également une coopération transfrontalière et que les frontières politiques n'entravent pas le sentiment d'union des minorités linguistiques. Les langues régionales et minoritaires devraient également être protégées et leur utilisation dans la vie juridique et  dans l'éducation, ainsi que dans la vie publique, sociale, culturelle, multimédiale et économique devrait être étendue. L‘enseignement dans la lanque respective devrait aussi être accessible à tout citoyen ne faisant pas partie de la minorité. Il appartient aux différents États de décider quelles langues doivent être inscrites dans la Charte. Nous examinerons d'abord celles que l‘Allemagne a décidé de faire figurer, avant de passer à celles qui ne s‘y trouvent pas.

Danois

Commençons notre périple  au nord de l’Allemagne où habite une minorité qui parle danois. Elle vit dans le Schleswig du Sud (Sydslesvig en danois),  la partie nord du Schleswig-Holstein, à la frontière avec le Danemark, dont le centre est Flensburg (Flensborg en danois). Environ 50 000 personnes ont le sentiment d'appartenir à cette minorité. En 1864, le Danemark a dû céder le Schleswig du Nord et du Sud à la Prusse, à la suite d'une guerre perdue. En 1920, à l'issue d'un référendum, le Schleswig du Nord a été cédé  au Danemark, le Schleswig du Sud à l'Allemagne. Depuis 1955, la République fédérale d'Allemagne garantit légalement à la minorité sa libre confession. 

Le danois est une langue nord-germanique, scandinave. Le bas allemand et l’allemand du Nord ont exercé une très grande influence linguistique sur le danois dans les années 1200-1500. À cette époque, le commerce était florissant au Danemark et les deux variétés ont pu s'imposer comme langues commerciales. Le fait que l'allemand ait encore une influence sur la langue danoise aujourd'hui n'est pas seulement dû à sa proximité géographique, mais aussi au fait que l'allemand a longtemps été la lingua franca à la cour royale danoise. Le danois compte un grand nombre de dialectes. La minorité danoise dispose d'un vaste réseau d'associations et d'institutions. Celles-ci sont financées par les gouvernements des deux États. Par exemple, toutes les écoles organisées par la minorité danoise sont reconnues par l'État depuis 1955.

Frison

Le frison a également le statut de langue et non de dialecte de l'allemand. Il s'agit d'une langue germanique occidentale. Le frison septentrional est parlé dans le nord du Schleswig-Holstein, sur la côte ouest du département du Nordfriesland, ainsi que sur les îles de Föhr, Helgoland, Amrum, Sylt et sur les Halligen, et compte entre 8 000 et 10 000 locuteurs. Le frison septentrional compte un grand nombre de dialectes, dont certains sont très différents. Les principaux dialectes sont le frison septentrional continental et le frison septentrional insulaire. L'allemand est la langue officielle et scolaire en Frise du Nord depuis le XVIIe siècle, tandis que le frison du Nord est resté plutôt une langue familiale. En Frise du Nord également, il existe de nombreuses associations et organisations qui s'efforcent de rechercher et de préserver la langue. Il existe par exemple des recueils d‘hymnes, des services religieux ou des dictionnaires en frison uniquement.

Le frison de Sater, une variété de frison oriental et la seule variété encore vivante, est parlé par environ 2000 personnes dans la municipalité de Saterland dans l'état fédéral de Basse-Saxe. Il s'agit de la plus petite langue minoritaire traitée ici et c’est également l'une des plus petites langues minoritaires d'Europe.  Déjà dans le comté impérial de Frise orientale, qui a été formé en 1464, c’étiat le bas allemand et non le frison qui était la langue officielle, ce dernier ayant été de plus en plus supplanté. Le frison sater, cependant, était encore si fortement enraciné en 1950 qu'il était également appris par les réfugié.e.s. Par la suite, cependant, les enseignant.e.s ont conseillé à tous les parents et enfants d'utiliser l'allemand standard. Le Seelter Buund s'engage à préserver et à promouvoir le frison de Sater. Dans le Saterland, par exemple, il existe des panneaux bilingues pour les noms de lieux et les établissements scolaires maternels, primaires et secondaires proposent une scolarisation en frison sater. En outre, il existe des cours sous forme de groupes d'étude ou de matières à option, ce qui signifie que le frison sater est de plus en plus lu et écrit. Il existe également des séminaires sur le Sater Frisian à l'université d'Oldenburg. Les locuteurs de cette langue parlent également le bas allemand, mais pas le frison oriental, mais le dialecte du Oldenbourg.

Bas Allemand

Restons dans le Nord mais intéressons-nous à présent à une zone plus vaste et examinons le bas allemand, dont le statut de langue ou de dialecte de l'allemand est contesté. Il est toutefois légalement reconnu comme une langue régionale (on peut d'ailleurs lire ici qu'il n'est pas toujours si facile de déterminer si une variété est une langue ou un dialecte). Le bas allemand compte un grand nombre de dialectes, dont certains sont très différents. La syntaxe s'oriente de plus en plus vers l'allemand standard. Il est parlé dans huit États fédéraux au total : à Brême, à Hambourg, dans le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, en Basse-Saxe, dans le Schleswig Holstein et dans les parties septentrionales du Brandebourg, de la Rhénanie du Nord-Westphalie et de la Saxe-Anhalt. Le nombre de ses locuteurs*locutrices est en forte baisse, mais il est représenté par tous les groupes de population vivant dans l'aire linguistique. Autrefois lingua franca générale dans le nord de l'Allemagne, le bas allemand est aujourd'hui devenu une langue familiale. Elle était également très bien développée en prose et en poésie. 

L'organisation qui chapeaute toutes les institutions traitant du bas allemand est l'Institut du bas allemand de Brême. En outre, il existe de nombreuses institutions dans les différents États fédéraux. Le bas allemand fait partie de la recherche et de l'enseignement dans les universités de Hambourg, Kiel, Oldenburg et Rostock. Une coutume de la région de langue bas-allemande est le Martinssingen, dans lequel les enfants vont de porte en porte le 11 novembre, chantant et demandant finalement un petit cadeau. On chante aussi en bas allemand.

Sorabe

Nous quittons le nord et voyageons en Lusace pour y faire la connaissance du sorabe. Si vous habitez en Allemagne, vous connaissez peut-être la légende de Krabat, le magicien. Si vous ne connaissez pas la légende, alors peut-être le roman du même titre d'Otfried Preußler. En tout cas, l'histoire se déroule en Lusace. Dans le roman de Preußler, on lit que Krabat, son maître et les autres compagnons parlent wendien. Wendien ou wendish en allemand est un terme obsolète pour désigner le slave. Preußler fait ici référence au sorabe. Ceux qui ne connaissent pas Krabat connaissent peut-être d'autres coutumes sorabes, comme les œufs de Pâques traditionnels très artistiques. 

Le sorabe est une langue slave occidentale et est donc apparenté au polonais, au kachoube, au tchèque et au slovaque. Il est encore parlé aujourd'hui en Haute et Basse Lusace, dans les États fédéraux de la Saxe et du Brandebourg. Aujourd'hui, on compte encore environ 60 000 Sorabes, dont seulement la moitié environ parle encore activement la langue. On peut encore déduire des toponymes que le territoire de langue sorabe était autrefois plus étendu. Depuis le 13ème siècle, des discriminations à l'encontre des Sorabes ainsi que des interdictions linguistiques sont connues, ce qui a entraîné une diminution du territoire. À l'époque de la Réforme, des textes religieux ont été écrits en sorabe pour la première fois. Les deux variétés standard écrites du sorabe représentent le haut sorabe et le bas sorabe. Il existe en outre de nombreux dialectes, qui sont répertoriés dans l'atlas linguistique sorabe. 

La Domowina est une organisation faîtière regroupant plusieurs associations sorabes de différents types. En outre, le sorabe est la langue d'enseignement dans de nombreuses écoles primaires. Les cours se déroulent soit en sorabe, soit dans les deux langues. Il est également possible d'apprendre la langue sorabe. Il existe en outre un lycée haut sorabe et un lycée bas sorabe dans les zones linguistiques respectives. En outre, la langue est enseignée de manière ludique dans plusieurs écoles maternelles. Parmi les installations de recherche figurent les instituts sorabes de Bautzen et de Cottbus, ainsi que l’Institut d'études sorabes de l'université de Leipzig. 

Les institutions culturelles, ainsi que la disponibilité des médias, sont importantes pour la préservation de la langue sorabe. Par exemple, la maison d'édition Domowina de Bautzen publie des livres, des journaux et des magazines en haut et bas sorabe. Il existe également des stations de radio et de télévision sorabes. Le haut et le bas sorabes sont tous les deux menacés d'extinction.

Romani

Poursuivons notre voyage et intéressons-nous aux sinti*zze et aux rom*nja, qui sont représenté.e.s comme une minorité dans tout le pays. Environ 70000 d'entre eux*elles vivent en Allemagne. Ce chiffre concerne les sinti*zze et les rom*nja qui vivent en Allemagne depuis des siècles. Il y a également des rom*nja parlant le romani en Allemagne qui ont immigré des pays des Balkans, entre autres.  Le romani est une langue indo-aryenne. On suppose que cette langue descend directement d'un dialecte lié à la base familière du sanskrit. Les dialectes du romani diffèrent dans une certaine mesure et peuvent certainement être considérés comme des langues distinctes en termes de distance. Le ausbau est cependant faible. Ce n'est qu'au 20e siècle que l'on a tenté de standardiser le romani. Il a toujours eu des influences sur la langue de la majorité, de même que la langue de la majorité a toujours eu des influences sur le romani. 

En Allemagne, il y a d'une part le Zentralrat deutscher Sinti und Roma e.V. (Le Conseil central des Sintis et Roms), d'autre part la Sinti Allianz Deutschland e.V (L’Alliance Sinti d’Allemagne). Il est important pour le Zentralrat deutscher Sinti und Roma que la langue soit protégée au moyen de la Charte, mais aussi que la minorité puisse décider elle-même de la manière dont elle le fait. La protection et la promotion ne doivent jamais être utilisées contre les intérêts de la minorité. A l'époque du régime nazi, les anthropologues avaient gagné la confiance des sinti*zze et des rom*nja en apprenant leur langue. Ensuite, ils ont voulu les détruire. C’est entre autres pour cette raison que la Sinti Allianz ne veut pas que des personnes extérieures à la minorité aient accès à leur langue. La langue et la culture sont cultivées dans les familles. Elle rejette les mesures étatiques. Elle souligne également que les sinti*zze constituent une minorité indépendante.

Les langues qui ne figurent pas dans la Charte et qui ne sont guère parlées aujourd'hui

Jusqu'à présent, notre voyage ne nous a conduit qu'aux langues que l'Allemagne a incluses dans la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Je vais maintenant me pencher brièvement sur deux langues qui sont à peine parlées en Allemagne et qui ne sont pas inscrites dans la Charte. Commençons par le yiddish, la langue des Juifs ashkénazes. Il s'agit d'une langue germanique occidentale qui utilisait l'alphabet hébreu pour l'écriture. Il n'est pratiquement plus parlé en Allemagne, mais dans d'autres parties du monde. De nombreux États européens l'ont inclus dans leurs chartes. Une autre langue qu'il convient de mentionner brièvement ici est le yéniche. En Suisse, c'est une langue minoritaire reconnue. L'origine du yénishe n'est pas tout à fait claire. En tant que langue, elle est très hétérogène. Il est également contesté qu'il s'agisse d'une variété du rotwelsch. Les Yéniches forment aussi une communauté très hétérogène. La langue n'est guère prarlée. Une ville allemande avec une culture yéniche est Singen am Hohentwiel, où vivent environ 800 Yéniches. Les Yéniches sont toujours socialement marginalisé.e.s.

 

Nous terminons notre voyage avec de nombreuses questions : le yiddish et le yénishe doivent-ils être inclus dans la Charte ? Qu'en est-il du plautdietsch, la langue des mennonites russes (ou s'agit-il simplement d'une variété du bas allemand ? Est-il autochtone ?) ? Quelles langues ne sont peut-être plus allochtones ? Que pouvons-nous faire pour préserver les langues ? Toutefois, sur la base de l'opinion de la Sinti Allianz, la question se pose également de savoir si nous sommes autorisé.e.s à le faire.Sommes-nous simplement autorisés à déterminer ce qu'il advient des langues minoritaires ?  La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires s'attache à relier les différentes parties de la population et veut rendre les langues accessibles aux personnes n'appartenant pas à la minorité. N'est-ce pas arrogant et condescendant de le déterminer d'en haut ? À partir de quel moment l'étude d'une langue et d'une culture minoritaires constitue-t-elle une appropriation culturelle ? Qu'en pensez-vous ?

 

#alugha

#everyoneslanguage

#doitmultilingual

 

Sources: 

https://www.bpb.de/internationales/europa/sinti-und-roma-in-europa/179536/ein-unbekanntes-volk-daten-fakten-und-zahlen (20.05.2021, 10:30)

https://www.coe.int/en/web/conventions/full-list/-/conventions/rms/090000168007c089 (20.05.2021, 10:32)

https://de.wikipedia.org/wiki/Europ%C3%A4ische_Charta_der_Regional-_oder_Minderheitensprachen (20.05.2021, 10:33)

https://de.wikipedia.org/wiki/Jenische (20.05.202, 10:37) 

https://de.wikipedia.org/wiki/Regional-_und_Minderheitensprachen_in_Europa (20.05.2021, 10:38)

https://de.wikipedia.org/wiki/Romani (21.05.2021, 07:40)

https://de.wikipedia.org/wiki/Sorbische_Sprache (20.05.2021, 10:37)

http://sintiallianzdeutschland.de/ (20.05.2021, 10:31)

https://web.archive.org/web/20120403102145/http://www.bmi.bund.de/SharedDocs/Downloads/DE/Broschueren/2008/Regional_und_Minderheitensprachen.pdf?__blob=publicationFile (20.05.2021, 10:30)

https://www.wochenblatt.net/heute/nachrichten/article/auch-jenische-kommen-in-bedraengnis/ (20.05.2021, 10:35)

https://www.wochenblatt.net/heute/nachrichten/article/singen-ist-keine-vorzeigestadt-jenischer-kultur/ (20.05.2021, 10:36)

 

Source de l'image: Bianca Ackermann via Unsplash

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